Rétrospective historique de la CGNO
Auteur: Felix Steininger, Schürch & Koellreuter.
La CGNO est fondée à la suite du rejet de la réunification
A la suite du refus par l’électorat de Bâle-Campagne du projet de réunification avec Bâle-Ville en 1969, les membres du Conseil d’Etat de Bâle-Campagne cherchent à travailler en partenariat avec les cantons voisins. Ils invitent ainsi leurs homologues des cantons d’Argovie, de Bâle-Ville, de Berne et de Soleure à se réunir le 19 mars 1971 à Liestal. Les représentantes et représentants des gouvernements cantonaux débattent ensemble de la forme, des objectifs et des axes possibles de la coopération régionale, en convenant de la nécessité d’institutionnaliser la collaboration des exécutifs de la Suisse du Nord-Ouest. Afin de promouvoir l’échange d’informations et de faciliter la résolution de problèmes communs, les conseillères et conseillers d’Etat prennent la décision de se réunir chaque année. C’est ainsi que la Conférence des Gouvernements de la Suisse du Nord-Ouest (CGNO) voit le jour. Les représentantes et représentants des gouvernements adoptent en première lecture un projet d’Accord qui instaure l’harmonisation régionale des lois et l’adoption d’une posture unifiée vis-à-vis des autorités fédérales. Les points de vue relativement visionnaires défendus par les cantons d’Argovie et de Bâle-Campagne ont convaincu les représentants de Soleure et de Berne, qui s’étaient dans un premier temps montrés réticents au projet d’harmonisation des lois, craignant la formation de « blocs antagonistes ». Le gouvernement de Bâle-Ville, quant à lui, fait part de sa volonté de coopérer, mais souligne qu’il est également en pourparlers avec le Bade du Sud et l’Alsace.
La deuxième Conférence, qui se tient le 21 janvier 1972, se révèle d’une importance capitale. Dans son allocution d’ouverture, Paul Manz (1924-1995), conseiller d’Etat de Bâle-Campagne et « spiritus rector de la Conférence régionale », présente la CGNO comme un moyen efficace de revitaliser le fédéralisme en Suisse et de contrer les tendances centralisatrices. La quasi-totalité des représentantes et représentants des cantons membres assistent à cette réunion ; ils participent activement à la deuxième lecture du texte de l’Accord et adoptent un règlement qui prévoit l’information mutuelle des gouvernements de la Suisse du Nord-Ouest, notamment en matière de législation. Les gouvernements des cinq cantons se réunissent désormais non plus une, mais deux fois par an. Pour entrer en vigueur, les décisions doivent être approuvées par tous les gouvernements concernés. Dans le droit fil de ces efforts, il est décidé de doter l’organisation d’un secrétariat, rattaché à la chancellerie du canton à Liestal, et d’un Comité directeur, chargé de préparer les Conférences régionales et d’assurer le flux d’informations. Quand bien même le canton de Bâle-Campagne pensait initialement jouer un rôle pionnier en Suisse avec cette initiative, l’idée d’institutionnaliser la collaboration intercantonale n’avait en fait rien de novateur. La Conférence des gouvernements de Suisse orientale (ORK, selon son acronyme allemand) avait déjà été fondée en 1964, et la Conférence des gouvernements de Suisse centrale (ZRK) en 1966.
Le canton du Jura devient membre à part entière
En 1970, l’électorat bernois adopte un additif constitutionnel qui accorde aux communes du Jura et du Laufonnais le droit à l’autodétermination quant au choix de leur appartenance cantonale. Les électrices et électeurs des trois districts septentrionaux de Porrentruy, de Delémont et des Franches-Montagnes décident majoritairement de quitter le canton de Berne et de former ensemble un nouveau canton. Le processus démocratique s’achève le 1er janvier 1979, date à laquelle le Jura devient un canton souverain. La Question jurassienne n’est pas abordée au sein de la CGNO avant 1975 : des représentantes et représentants du gouvernement bernois qualifient alors les menées séparatistes dans le Jura de problème de sécurité imprévisible faisant peser une lourde charge sur l’appareil policier bernois. En 1976, le président de la CGNO assure aux membres du Conseil d’Etat bernois que les cantons du Nord-Ouest de la Suisse les soutiennent et comprennent leur approche de la Question jurassienne. Il se range du côté de Berne et s’engage à n’appuyer aucune « action spectaculaire » des séparatistes.
A l’issue de la votation populaire, par laquelle le peuple suisse accepte à une écrasante majorité la création du nouveau canton du Jura le 24 septembre 1978, l’attitude de la CGNO évolue. Elle annonce ainsi en décembre 1978 que, « si le canton du Jura souhaite rejoindre la CGNO, il trouvera porte ouverte. » Le gouvernement jurassien n’ayant toutefois pas manifesté d’intérêt en ce sens avant juin 1995, son adhésion est validée par la CGNO en janvier 1996 seulement. Le canton du Jura obtient alors le statut d’observateur pour deux ans et est admis comme membre à part entière de la Conférence le 12 juin 1998. Il accède pour la première fois à la présidence de la CGNO en 2014, avec Elisabeth Baume-Schneider à cette fonction.
Le Laufonnais rejoint Bâle-Campagne
Si le gouvernement bernois se considère comme faisant partie du Nord-Ouest de la Suisse, c’est non pas tant à cause du Jura bernois que du Laufonnais. Lors de l’Assemblée plénière de la CGNO de 1972, il souligne ainsi que son partenariat se limite au district de Laufon. Or l’appartenance bernoise du Laufonnais commence elle aussi à s’effriter. Les communes concernées refusent certes à deux reprises, en 1974 et 1975, de rejoindre le canton du Jura, alors en cours de création, mais une initiative populaire déposée en 1977 propose le rattachement du Laufonnais à l’un des cantons voisins : Bâle-Campagne, Bâle-Ville ou Soleure. Le gouvernement bernois se retrouve ainsi dans une situation délicate : « Si le Laufonnais ne fait plus partie du canton de Berne, alors la question se pose de savoir si nous représentons encore un canton du Nord-Ouest de la Suisse. » Autre problématique : les cantons de Soleure, de Bâle-Campagne et de Bâle-Ville agiraient-ils à l’encontre des intérêts de Berne, endossant ainsi une part de responsabilité dans la séparation ?
Les autres gouvernements du Nord-Ouest de la Suisse répondent à ces inquiétudes en rappelant l’importance majeure de Berne pour la CGNO et en insistant sur le fait que le canton de Berne doit rester membre quel soit le résultat du référendum sur le Laufonnais. L’électorat du district de Laufon se prononce en 1983 pour le maintien dans le canton de Berne. Par la suite, ce vote est cependant invalidé par le Tribunal fédéral, lorsqu’il apparaît que le gouvernement bernois a eu recours à des fonds public pour influencer le scrutin. Le gouvernement bernois ayant été récusé, la voie est ouverte à un second référendum, lequel se solde par le rattachement du Laufonnais au canton de Bâle-Campagne, dont il devient le cinquième district au 1er janvier 1994. Au cours des années suivantes, l’appartenance du canton de Berne à la Suisse du Nord-Ouest et son statut au sein de la CGNO restent une question ouverte. En 2011, à la suite de maintes évaluations, Berne invoque un « manque d’intérêts communs » pour transformer son statut de membre à part entière en statut de membre associé.
La CGNO est ces membres associés de 1971 à ajourd'hui
Le canton de Zurich devient membre associé
Au milieu des années 1990, le canton de Zurich devient un sujet de discussion pour la CGNO. Les représentantes et représentants des gouvernements sont conscients de la montée en puissance de Zurich, qui se traduit par de nouvelles dynamiques et des processus de concentration de plus en plus nets en sa faveur. En s’imposant comme un grand centre dominant, Zurich représente un défi croissant pour le système fédéraliste suisse. Les gouvernements de la Suisse du Nord-Ouest n’entendent ni devenir dépendants du canton de Zurich, ni l’affaiblir ; ils veulent se positionner comme un contrepoids. Ils estiment que la région du Nord-Ouest de la Suisse ne doit pas chercher à imiter Zurich, mais plutôt se concentrer sur ses propres points forts et s’efforcer de former des clusters dans les secteurs chimique et pharmaceutique. Afin de renforcer la Suisse du Nord-Ouest, il est décidé, d’une part, de nouer une collaboration plus étroite dans la région de Bâle avec l’Alsace et le Bade-Wurtemberg et, d’autre part, d’optimiser la coopération régionale, notamment dans les domaines des infrastructures, de la formation et de la santé.
En août 1998, le canton de Zurich exprime son intérêt à rejoindre la CGNO, tout en cherchant parallèlement à intégrer la Conférence des gouvernements de Suisse orientale (ORK) et la Conférence des gouvernements de Suisse centrale (ZRK). Le Comité directeur préparatoire de la CGNO, auquel la candidature a été soumise en premier, se montre tout d’abord réticent : l’adhésion de Zurich ne présente à ses yeux « guère de sens » ; une coopération serait tout au plus envisageable au cas par cas. Des voix s’élèvent également lors de réunions ultérieures pour dénoncer une « adhésion à la carte » et « une tendance au picorage de la part de Zurich ». Finalement, tous les membres du Comité acceptent le principe d’une adhésion limitée. Le 21 janvier 2000, la CGNO ratifie l’accord d’adhésion avec le canton de Zurich, qui participe pour la première fois le 8 juin 2001, en tant que membre associé, à une Assemblée plénière de la CGNO.
Nouvelle orientation dans les années 2000
Vers le milieu des années 1990, des divergences d’intérêts et de vues se font jour parmi les gouvernements du Nord-Ouest de la Suisse. Le plus fervent défenseur de la Conférence régionale est le canton de Bâle-Campagne, qui met en avant les bons résultats obtenus par la CGNO en vantant la coopération partenariale et l’échange entre les gouvernements. Bâle-Ville se rallie à cet avis, alors que les autres cantons membres se montrent plus réservés. Soleure estime que la Conférence doit continuer à exister, mais en étant redimensionnée et administrativement allégée. L’Argovie fait savoir qu’elle considère avant tout la Conférence régionale comme un forum ouvert et qu’elle entend à l’avenir se rapprocher de Zurich pour des considérations fonctionnelles. Le gouvernement bernois remet en question l’essence même de la CGNO. Il reproche aux deux Bâle et à l’Argovie d’être trop tournés vers Zurich et de manquer de solidarité envers Berne. Au sein de la CGNO, le canton de Berne affirme par exemple « se sentir exclu » du développement conjoint de stratégies sur des questions de fond.
A l’aube du nouveau millénaire, la CGNO a conscience de sa désunion et de sa fragilité ; une dissolution est sérieusement envisagée. Le conseiller d’Etat argovien Ernst Hasler, qui en assure la présidence entre 2003 et 2005, initie donc des changements qualifiés de « dernière tentative pour sauver la Conférence régionale ». Il introduit ainsi le « modèle des deux cercles », au sein duquel un cercle intérieur (AG, BL, BS et SO) jouit de droits de participation plus étendus qu’un cercle extérieur (BE et JU). Cette innovation sera cependant de courte durée : les cantons de Berne et du Jura, s’estimant lésés, obtiennent sa suppression au bout de trois ans. D’autres mesures en revanche se sont avérées novatrices : l’élargissement du secrétariat, le renforcement du Comité directeur en tant qu’organe exécutif, le passage du vote à l’unanimité au vote à la majorité ainsi que la nouvelle stratégie consistant à organiser, via la CGNO, un lobbying ciblé auprès de la Berne fédérale. Cette dernière mesure doit être garantie par des rencontres régulières entre les membres du Conseil d’Etat et du Conseil des Etats représentant la Suisse du Nord-Ouest. La phase de renouvellement de la CGNO est arrivée à son terme à la fin des années 2000. Depuis lors, la CGNO se consacre avec un regain d’énergie aux problèmes de fond de la région, en œuvrant à faire avancer des projets communs et à représenter efficacement les intérêts de la Suisse du Nord-Ouest à l’extérieur.
Bilan intermédiaire à l’occasion du 50e anniversaire de la CGNO
Un demi-siècle s’est écoulé depuis la création de la Conférence des Gouvernements de la Suisse du Nord-Ouest (CGNO). Le fédéralisme suisse, que ses fondatrices et fondateurs ont voulu faire vivre à travers elle, bénéficie aujourd’hui encore du soutien de la population. Basé sur la coopération, il incarne les principes de non-centralisation, de subsidiarité et de solidarité entre les cantons. Les propos de Paul Manz sont toujours d’actualité : le fédéralisme est considéré comme « le système le meilleur et le plus approprié pour la Suisse » et l’un des « traits les plus distinctifs de la Confédération helvétique ». La CGNO et les autres Conférences des gouvernements cantonaux n’y sont pas étrangères. En tant que forums, elles ont facilité l’échange systématique d’informations et encouragé la coopération entre les cantons. Ces instances ont permis de coordonner conjointement des problèmes et des tâches qui dépassaient les capacités cantonales individuelles et d’y apporter des solutions. La nature aléatoire de la collaboration entre les gouvernements de la Suisse du Nord-Ouest avant la création de la CGNO a cédé la place à la planification et au développement de stratégies communes. Si ses membres n’ont pas toujours partagé les mêmes points de vue, en matière de politique énergétique, par exemple, mais aussi dans d’autres domaines, la CGNO a tout de même permis de faire avancer de manière conjointe de nombreux dossiers touchant à la santé, à la formation, aux infrastructures, à la sécurité et à l’environnement. Vis-à-vis de l’extérieur, la CGNO a amélioré la perception de la région. Grâce à des déclarations communes, à la représentation d’intérêts communs et à des actions coordonnées, elle a permis d’accroître le poids de la Suisse du Nord-Ouest à Berne et en Europe.
La rétrospective historique de la CGNO peut être téléchargé ici:
- Retrospective_historique_de_la_CGNO.pdf (pdf, 808 Ko)